A la fête de la vache nantaise pour défendre « le bocage et ses mondes« . N°857
Écrit par admin sur 19 septembre 2018
Une vraie leçon ! « tout le monde parle de prix mais nul ne parle de la valeur des produits » « les gens ne se déplacent pas pour une organisation mais pour une idée » « il n’existe pas un territoire s’il n’y a pas le réseau des paysans ».
C’est par ces mots que le parrain officiel de l’édition 2018 de la fête de la vache nantaise, Carlo Pétrini, le fondateur et président du mouvement international Slow Food, inaugurait la 8ème édition du rendez-vous français majeur qui s’attache avant tout à défendre la sauvegarde et le re-développement des races locales. Qui a eu lieu les 7 au 9 Septembre au village de Dresny sur la commune de Plessé (Loire-Atlantique). La fête, dont l’entrée était gratuite, regroupait pas moins de 1 500 bénévoles, de nombreux paysans, tout le gratin des grands chefs étoilés (Troisgros, Bras, Roellinger, Gagnaire), fleuron de la gastronomie mondiale, une météo au top, une superbe ambiance, des animaux très beaux et très zen, et 50 000 participants au compteur .
J’ajoute, modestes éleveurs nous-mêmes de moutons d’Ouessant, nous ne sommes pas peu fiers qu’un des nôtres, notre prénommé Moutig, y concourrait par l’entremise de son actuel propriétaire heureux de nous le présenter – photo ci-dessus.
Bon, je vous propose une bonne occasion de replonger dans l’ambiance de la fête… par la retranscription du discours inaugural de Carlo Pétrini – en français mais sans notes d’où nos légères adaptations.
« Dans les derniers 50 ans au niveau mondial, la nourriture a perdu de valeur, pas seulement des prix, tout le monde parle des prix de la nourriture, nul ne parle de la valeur. Deux choses fondamentalement différentes. Alors quelle est la situation qui a permis ce désastre dans l’agriculture mondiale et aussi européenne? La situation c’est que nous avons perdu la biodiversité. Beaucoup d’espèces génétiques, des fruits, de verdure, beaucoup de races d’animaux, sont perdus.
On parle de patrimoine, on parle de choses très importantes pour l’agriculture. Mais l’agriculture c’est le problème le plus fort des affaires européennes en ce moment. Parce que la politique de l’Europe est aussi celle de chaque état. Qui n’est pas sensible à cette chose ici. Il n’est pas sensible! Alors je pense que le nouveau paradigme doit détruire une chose qui est la dimension actuelle. Quelle est la dimension actuelle dans la nourriture? La dimension actuelle c’est ça: que pour les personnes riches, on mange bien des produits réalisés par des paysans pauvres. Et que pour les personnes pauvres on mange mal des produits réalisés par des multinationales très riches. C’est ça ce que nous devons changer. L’espoir de bien manger est un droit pour tous. Et le résultat de ce fait est qu’on doit changer le paradigme.
On doit changer une situation où les paysans dans notre Europe sont les dernières (roues de la charrette). On doit changer la situation. On doit prendre la nouvelle prospective à côté de cette agriculture, à côté de ces paysans. Alors le travail que nous avons à faire est un travail de sensibilisation de la politique pour qu’elle prenne conscience que c’est ça la nouvelle réalité. Elle n’est pas la réalité organisatrice de la mise en rang, pour ça c’est un grand organisateur. Mais toutes les personnes qui sont ici ne sont pas venues ici pour une organisation mais pour une idée.
Je dis ça parce que l’autre nuit en Italie, nous avons vu les sports. Tout le monde parle des sports. Mais les sports c’est un désastre. Les sports ne signifient rien pour l’agriculture mondiale. C’est un show. Ici, nous n’avons pas le show. Ici nous avons des personnes. Ici nous avons des personnes qui veulent changer le paradigme et qui ont compris ce qu’est la nourriture, et qui la respecte, et qui s’intéresse à l’environnement, ce qui est très connexe. Alors nous ne sommes pas ici à parler du droit des paysans à respecter leur propre histoire. Nous sommes ici pour réaliser une nouvelle économie. Et je suis très heureux d’entendre ici des gens qui parlent d’économie de proximité. Qui parlent de bio.
Attention! Si nous avons à parler de bio, nous devons réfléchir. Ok! C’est positif le bio! Mais le bio concentré dans les mains des grandes « réalités », c’est pas le bio que nous voulons. Nous voulons le bio du réseau social des paysans dont nous avons a aidé à reconstruire le territoire. Il n’est pas de territoire s’il n’y a pas le réseau des paysans. Et c’est ça, c’est juste ça ce pays extraordinaire. Le pays fantastique où, dans les derniers 50 ans, beaucoup de l’histoire des paysans de cette région a été détruite.
Cher monsieur président du département, vous avez beaucoup de travail à faire. Mais beaucoup! Et vous êtes ici pour comprendre que ces personnes, ces paysans, ces rêveurs, ce sont des politiques. Ils sont des politiques. Ils font de la politique au niveau matériel. Alors j’ai dit ça, je suis très heureux d’être ici. Et vous devez savoir qu’une chose comme ça n’existe pas dans toute l’Europe. Je connais bien l’Europe mais ce que vous avez réalisé ici c’est une chose nouvelle. C’est une chose qui donne le nouvel esprit.
En aucun moment on doit penser que c’est une chose seulement organisatrice. Ici il y a de la politique. Et la politique nouvelle, elle part d’en bas. Nous avons besoin de ça. Toute l’Europe a besoin de ça. Et j’espère que les citoyens d’une manière aussi forte qu’il y a ici, doivent comprendre qu’il n’y a pas seulement la bonne viande, la bonne chose, et la bonne gastronomie. Ils doivent comprendre qu’ici il y a un nouveau paradigme ».
A deux pas de là, du petit enclos où se déroulait le concours national des moutons d’Ouessant, le plus petit mouton au monde, j’aborde un couple de Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, donc de pas loin (30 kms). Qui s’emploie à afficher le nouveau rendez-vous de mobilisation à la ZAD pour défendre « le bocage et ses mondes« , le 29/30 septembre 2018. « Il faut qu’on soit nombreux. » me disent-ils. Pour jeter un œil sur le programme, c’est ici.
Mobilisation à laquelle toute la brume du bocage unie ne peut que souscrire. Car il serait injuste que ce territoire qui a échappé depuis cinquante ans aux nuisances de l’agriculture industrielle, au remembrement, à la destruction des haies et du bocage, à l’utilisation intensive des pesticides et herbicides, à la pollution des sols et de l’eau, soit remis à ces mêmes gros agriculteurs qui veulent toujours plus de terres et ont massivement endommagé toute la région.
Là où encore, grâce à cette Zone A Défendre, se pose universellement la question du droit foncier et des communs. Comme l’expose, dans l’entretien qu’il nous a accordé, Michel Pech, docteur en géographie et spécialiste de droit rural et d’économie rurale, et ingénieur ruraliste à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Rennes. A écouter ici.
Mais revenons à ces deux grands invités de la fête, Carlo Pétrini de Slow Food International et Olivier Roellinger, célèbre cuisinier cancalais et vice-président à l’international de Relais & Château. Dans un entretien récent paru dans le supplément de L’Humanité, voici ce qu’ils déclaraient:
« CP. Jamais la situation n’a été aussi compromise. Le pouvoir est concentré en peu de mains. Quelques multinationales produisent à la fois l’alimentation, les pesticides, les organismes génétiquement modifiés et les médicaments. Bayer/Monsanto, Danone ou Nestlé possèdent de puissants lobbies qui s’imposent à la politique.
OR. Et plus on creuse, plus on s’aperçoit que nous avons des monstres en face de nous. Le monde de la finance est sans durabilité. Dans les écoles de commerce, on apprend à acheter le moins cher possible et à vendre le plus cher possible en racontant n’importe quoi, par exemple que le Coca-Cola est la boisson des sportifs alors que ce breuvage est bourré de sucre et est très mauvais pour la santé. Le système est puissant parce qu’il a pris le pouvoir sur la politique. »
Bon, alors finalement la présence au concours de notre prénommé Moutig ? Il a été mesuré 46cm donc bien dans le standard, mais ne fut pas primé. Partie remise! En cette journée caniculaire, sous sa belle toison noire de noir, un vrai mouton noir, en cette fête comme nous-mêmes il a pu y flairer l’air du temps et par bonheur, en excellente compagnie.
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, ainsi qu’autour de « La Pie noire ». Une ferme agricole en Amap, qui élève des vaches Bretonnes Pie-Noir, située à La Boussac (35). Entretien avec Eglantine Touchais. A écouter ici: