Le “sens du possible”. N°639
Écrit par D.D sur 9 juillet 2014
La simplicité surgit sur le devant de la scène comme une évidence. Dès lors qu’on parvient à concentrer son attention vers cet inouï de l’ordinaire. C’est ainsi tout une palette inattendue qui se déploie à la lecture du dernier rapport (juin 2014) de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) sur le comportement des consommateurs français.
Résumé : « L’ensemble des enquêtes menées auprès de la population au cours des 25 dernières années montrent indéniablement une prise de conscience écologique des consommateurs. Les connaissances en matière environnementales ont progressé et de nombreux comportements ont évolué. C’est le cas en matière de prévention des déchets puisqu’on voit une nette diminution de la quantité de déchets produits par habitants depuis le début des années 2000. Ici, la sensibilité écologique et l’accompagnement des pouvoirs publics ont joué un rôle important dans les changements d’attitude de la population. Dans le domaine de la consommation d’énergie ou d’eau, au sujet des moyens de transports, concernant la durée de vie des objets, les préoccupations financières semblent jouer un rôle plus central, mais là aussi, on observe des changements d’attitude significatifs depuis le début des années 2000 : les consommateurs cherchent à économiser les ressources ou à mieux utiliser les objets dont ils ont besoin, voire à en revendre / donner / prêter / louer certains dont ils se servent peu. Ils le font surtout pour réaliser des économies, gagner de l’argent, contrer la hausse des prix, trouver des astuces pour maintenir leur qualité de vie malgré les pressions sur le pouvoir d’achat, mais cela ne veut pas dire que les considérations écologiques n’entrent pas en ligne de compte, puisque les comportements relevant de l’économie circulaire sont beaucoup plus fréquents chez les ménages ayant une sensibilité écologique marquée. »
Ainsi ce rapport met en évidence que les choses changent. Lentement. Mais assurément. Sous l’effet de la crise ou d’une prise de conscience écologique ? Les deux à la fois, semble-t-il. Il dévoile ce que sont les significations imaginaires sociales nouvelles qui se diffusent dans la société. La croyance dans la croissance bat de l’aile. Se mettent au centre de la vie humaine d’autres significations que l’expansion de la consommation et de la production. Où l’économie est remise à sa place. Et n’apparaît plus comme une course folle vers une consommation toujours accrue. « On est dans un changement de paradigme technico-économique » y lit-on.
Observons : une préoccupation de plus en plus marquée pour le problème des déchets, le souci de prolonger la durée de vie des objets, une nette propension aux économies de ressources et d’énergie, une remise en cause du tout automobile, une progression notable de la consommation de produits bio.
Ce rapport de l’ADEME parle d’un mouvement de fond. Au point de changer les critères de valorisation sociale au sein de la collectivité. Au point de manifester un besoin de retisser et d’entretenir des relations sociales avec ses voisins. Et si l’on en croit ce rapport le phénomène d’auto-émancipation des consommateurs français semble avoir atteint un stade suffisamment avancé pour que le processus devienne difficilement réversible.
Ceci n’est pas un point de vue mais une analyse très sérieuse. Et pas seulement des prémices. Certains y verront une adhésion à la décroissance. Ils auront raison. Dans cette époque de confusion intellectuelle, cette évolution est culturelle au vrai sens du terme. A l’opposé de ce que répandent tous les discours qui remplissent quotidiennement les journaux, la télé, la radio, dont l’importance est devenue quasi-nulle. Dont l’agression publicitaire –véhicule de propagande consumériste- du coup pourrait, devrait être fortement réduite, voire supprimée. Une cure de désintoxication pour consommateurs accros.
Du coup ce rapport m’apparaît venir en écho à la figure de L’Homme sans qualités de Robert Musil. Lorsque dans son livre il énonce le “sens du possible” : “Mais s’il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu’il ait son droit à l’existence, il doit bien y avoir quelque chose que l’on pourrait appeler le sens du possible. L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être “aussi bien”, et de ne pas accorder plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas.”
Le “sens du possible” guiderait enfin le comportement des consommateurs français.
D.D