« Mémoire vivante du passé et projet d’un avenir valorisé ». N°606
Écrit par D.D sur 20 novembre 2013
En 1978 Castoriadis écrivait ceci: de nos jours « mémoire vivante du passé et projet d’un avenir valorisé disparaissent ensemble » (Fenêtre sur le chaos).
D’une formule courte et directe Castoriadis nous dit ainsi que c’est à nous de garder vivante la mémoire du passé -contre l’hypertrophie de la mémoire morte des historiens, musées etc-, et qu’il n’y a de projet d’avenir qu’à la condition de lui accorder une importance plus grande qu’au présent.
Sachant que, 35 ans après, le mot même d’avenir est passé de mode -l’avenir signifiant étymologiquement les choses « à venir »-, et c’est le présent voire l’immédiat, qui est devenu la seule ligne d’horizon. Soit un renoncement à ce qui dépend de nous. Problème: les racistes retrouvent pignon sur rue et les fachos font les uns après les autres leur coming-out !
Cette formule lumineuse de Castoriadis, son diagnostic était sombre, justifierait si besoin était ce qui nous anime et nous enchante ici. Qui est de faire vivre la pensée critique. Nous en avons collecté au fil du temps de multiples entretiens avec un certain nombre de penseurs qui ont tous une particularité qui les rassemble : ils ne sont pas satisfaits de l’ordre actuel des choses et cherchent des voies pour inventer d’autres mondes ou au moins d’autres façons de les appréhender.
Des penseurs qui s’expriment ainsi ici dans leur radicalité, c’est-à-dire selon l’étymologie une réflexion allant à la racine des choses, tous ont en commun cette recherche de la fabrique du commun. Et d’être passés dans notre région.
Ces penseurs avec lesquels Matthieu s’est entretenu sont tous animés par une révolte, une colère, une idée. C’est bien pour ces raisons qu’il est allé les questionner. Attendant d’eux et de leurs convictions, leurs éclairages. Car en qualité reconnue d’acteur de la vie démocratique et sociale, Radio Univers se veut être un service public des idées. Disponible en accès libre. A toute heure.
Pas seulement pour s’en remettre à ces voix d’éclaireurs des hauteurs, non, car avec Jacques Rancière nous savons aussi que les prolétaires des années 1830 et 1840 voulaient que la nuit leur appartienne pour créer, écrire, faire du théâtre. Ainsi s’inscrivaient-ils dans ce « projet d’un avenir valorisé ». Et ainsi résistaient-ils.
Françoise Dastur, autre philosophe, qui habite en Ardèche, mobilisée contre le gaz de schiste, dit que de nos jours le résistant, celui qui n’abdique pas, « demeure plutôt dans l’état du philosophe, celui qui d’une certaine manière pose des questions. C’est important d’être capable de questionner. C’est quelque chose qui a disparu. La pensée c’est la question. C’est pouvoir poser des questions. » Je vous propose de la découvrir dans cette vidéo.
Alors nous remercions tout particulièrement Matthieu, qui a déclenché et orienté ces entretiens. Puis notre gratitude s’adresse évidemment à tous ceux et celles qui ont contribué à ce travail. Nous avons le plaisir à signaler entre autres, le botaniste Gilles Clément, le médecin Xavier Emmanuelli, les journalistes François Ruffin, Catherine Herszberg, Thierry Pech et Jean-Luc Blain, les rappeurs Oxmo Puccino, Insa Sané et Amkoullel, les anthropologues Paul Jorion et Jean-Michel Huctin, les poètes Jean-Pierre Verheggen, Bernard Noël, Abdellatif Laâbi, Yvon Le Men, Abdelwahad Meddeb, et Joël Bastard, les ethnologues Pascal Dibie et Yvon Le Bot, les écrivains Patrick Chamoiseau, Alain Mabanckou, Véronique Taquin, Charles Robinson, et Odile Tobner, le démographe Emmanuel Todd, les historiens Michèle Riot-Sarcey, François Dosse, Benjamin Stora, et Danielle Voldman, les philosophes Patricia Limido-Heulot, Geneviève Fraisse, Luc Brisson, Yves Citton, Myriam Revault d’Allonnes, Patrick Viveret, Miguel Benasayag, Jean-Paul Dollé, Jacques Rancière, Vincent Cespedes, et Anselm Jappe, les sociologues Francis Jauréguiberry, Monique Dagnaud, Jean Ziegler, Robert Castel, Vincent de Gaulejac, Nicole Aubert, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, les économistes Cédric Durand, Françoise Milevski, Bernard Friot, Jérémy Rifkin, Esther Jeffers et Jean-Louis Laville, le hacker Jérémie Zimmermann, le photographe Olivier Jobard, le paléobotaniste Dario de Franceschi, l’éleveur Jean-Claude Juhel, l’agronome Jacques Caplat, l’ingénieur forestier Gilles Pichard, et le défenseur du bocage breton Jean-Yves Morel. Tous soucieux d’un « projet d’un avenir valorisé ». (Les émissions sont écoutables en podcasts).
Quant à cette « mémoire vivante du passé » je pense que ces 606 chroniques hebdomadaires en présentent, chacune à sa manière assez personnelle, bien des aspects.
A cela s’ajoute notre partenariat avec la Maison de la poésie de Rennes. Car comme l’écrivait Robert Redeker à propos de Castoriadis, « résister par la poésie, ce discret salut de ce qu’il y a de plus perdu dans le monde, la poésie, ce salut de résistance par la langue. Le temps est mort – sauf dans les poèmes, sauf dans la parole du poète, sauf dans le dire l’écrire et le lire poétique. »
D.D