Le Code Noir. N°560
Écrit par D.D sur 26 décembre 2012
La France a une haute idée d’elle même. La fierté de la France, la grandeur… C’est connu. Alors parlons aujourd’hui de la difficulté qu’elle a pour aborder son passé. D’où cette polémique récurrente sur la «repentance». Par exemple de cet espèce de passé historique crapuleux comme le décrivait Jean-Paul Dollé:
« Le Code noir.
Dès la naissance du parti nazi, quiconque se donnait la peine de lire la charte du mouvement, « Mein Kampf », écrite par le Führer, pouvait savoir que l’extermination des Juifs était inscrite dans le programme de cette formation politique. Qu’en Allemagne et dans toutes les démocraties occidentales, les élites et les simples gens n’en aient rien voulu savoir, c’est une autre histoire. Qu’après la réalisation de l’holocauste, les mêmes aient tout fait pour oublier cette entreprise inouïe de faire du Mal l’objectif de la volonté d’une communauté –dirigeants, dirigés confondus – cela relève, malheureusement, d’un comportement habituel, analysé et dénommé par Freud, dénégation. Nier et retourner en son contraire ce que l’on a désiré.
Plus monstrueux, si c’est possible, le refoulement pur, l’oubli de l’oubli. Qui, en France se souvient d’avoir oublié que fut officiellement, édicté un Code Noir, légiférant sur ce qui par essence se soustrait à toute Loi, l’en de ça de toute humanité, l’esclavage. « La solution finale » hitlérienne ne fut jamais parlée ni écrite. La langue française trouva les mots pour dire l’inommable ; au XVIIè siècle quand les négociants de Nantes et de Bordeaux faisaient trafic du « bois d’ébène ».
Cela, nous qui parlons la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, il nous faut faire l’effort de le lire pour ne plus le redire. Ce qui ne veut pas être remémoré, et au moins, pour une fois écouté, fait retour sous la forme de ce qui exclue la parole, la tue : la barbarie. »
Jean-Paul Dollé. Légende du siècle. 12 mai 1987-n°2.
La France a un mal fou à considérer qu’elle a des points noirs dans son histoire. Ainsi, il y a 25 ans, Louis Sala-Molins, professeur de philosophie politique de son état, exhumait le Code qui, d’un point de vue juridique, a grandement contribué à la deshumanisation de l’homme noir. Ainsi dit-il: « Les historiens français avaient oublié que le Code Noir avait existé » (…) » Aucun mot sur la légitimation juridique de la traite. Le Code Noir était un texte complètement occulté. »
Ce texte le plus monstrueux de la modernité, que dit-il? L’article 44 annonce que l’ « esclave est meuble » et par conséquent en fait des biens pouvant être acheté, vendu, donné, saisi tel un meuble. Cette disposition n’en fait pas des choses car ils possèdent encore une personnalité juridique qui leur confère la possibilité de témoigner, se marier ou encore se plaindre. Cependant leur personnalité juridique est celle d’une personne mineure et restreinte. Le témoignage de l’esclave est considéré comme peu fiable.
Etre esclave est héréditaire. C’est la mère qui transmet la personnalité juridique, par conséquent si un esclave fait un enfant à une femme libre, l’enfant sera libre. Les esclaves ne peuvent se marier sans le consentement de leurs maitres qui tiennent envers eux le rôle de parents.
Le maitre a une autorité quasi suprême sur son ou ses esclaves. Il est cependant obligé de le nourrir et de le vêtir.
L’affranchissement nécessite une publication et le paiement de taxes. »
Où en est-on? Depuis les 10 ans de la Loi Taubira tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, et en 2012 de l’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes, l’occultation de cette barbarie semblerait abolie. Une impression. Car, sans nier une évolution sur le fait qu’au moins les Nantais ne détournent plus le regard de ce passé, manque à ce Mémorial ces textes qui asservissent. En effet rien ne préfigure à Nantes d’une mémoire sereine. Mais encore de l’oubli visible que fut officiellement édicté un Code Noir légiférant sur l’instauration de l’esclavage de tout africain. Pour faire pousser le tabac ou la canne à sucre de la France.
Rappel du contexte. Le Code noir – le code de l’esclavage- qui est dans l’horreur juridique absolue rédigé par Colbert, commence en 1685 et il se termine en 1848. L’esclavagisme fait des miracles, les négriers font des fortunes juste avant la révolution et pendant les premières années jusqu’à la Convention, Convention comprise. Quand au même moment, en 1793, tout au contraire il s’inscrivait Liberté, Égalité, Fraternité sur toutes les façades des édifices publics. Devise de la République française et de la République d’Haïti, message fabuleux de la France adressé pour le monde entier. Une année plus tard, l’abolition de l’esclavage fut votée. Mais la traite fut rétablie par Napoléon en 1802. Les historiens ont fait des comptes : le chiffre d’affaire de la traite à cette époque, par conséquent du sucre, du tabac, de l’indigo, et tout… représente un tiers de la masse de ce qui se fait et se défait. En comprenant dans ce tiers, le travail des arsenaux, tout ce qui est fait, pensé, construit pour cela, et tous les métiers attenants.
Donc en terme de masse monétaire, ce qui découle de la traite c’est un tiers des ressources financières du pays. Belle manne. Eh bien, il est surprenant que des esprits si éclairés que ceux de Montesquieu, Rousseau, ou Voltaire, ne se soient si peu inquiétés de la situation des noirs. Ce qui signifie que les penseurs de la modernité, les penseurs de Lumières, ont partie liée avec l’esclavage. N’ont pas vu les esclaves qui bossaient et morflaient devant eux. Bref, le mépris de l’autre et les ombres des Lumières. Sinistres!
La société européenne est celle qui (sur des fondements racistes), a légitimé la pratique de la traite négrière et de l’esclavage pendant plusieurs siècles. D’ailleurs, à propos de « solution finale »: le génocide des Herero n’est-il pas qualifié de premier génocide, fruit de l’aboutissement de la politique coloniale allemande dans ce qui devint l’actuelle Namibie ? A partir de 1904, 60 000 personnes périrent des suites d’une politique d’extermination décrétée par le général Lothar von Trotha. Cette « expérimentation » sur les peuplades autochtones après les avoir rendu esclaves est maintenu dans « l’oubli de l’oubli » là-aussi. Bien que ça commence à le savoir. Du côté des rares descendants africains surtout.
Quel silence de nos jours de ce côté caché derrière ! « Les conséquences de ce dont nous parlons sont mesurables, sont quantifiables, et sont là et bien là… Donc, aux effets psychologiques, comme aux effets culturels, comme aux effets juridiques, la continuité est nette entre cet avant-hier, ce hier et ce aujourd’hui… » (Louis Sala-Molins) Comme l’évoque cette chanson française.
Et ce aujourd’hui… il n’est pas du tout évident que le blanc moyen d’aujourd’hui soit tout à fait convaincu au fond de lui-même que le noir est un homme. Du moins, pas évident pour tout le monde.
Quant à la difficulté à assumer le passé, pour mémoire citons sans être exhaustif : la France de Vichy, et les massacres d’algériens en Octobre 61. Pour ceux-ci, il aura fallu la reconnaissance officielle récente de François Hollande au nom de la République que l’arrestation de milliers de Juifs lors de la rafle du Vélodrome d’Hiver (Vél’ d’Hiv), les 16 et 17 juillet 1942 à Paris, était un «crime commis en France par la France», et de la « sanglante répression » des manifestations d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris, rompant avec un silence de 51 ans de l’Etat sur les événements.
D.D
Françoise Sur 27 décembre 2012 à 10 h 27 min
Bien sûr, je suis d’accord avec La Chronique, mais, histoire de causer et juste pour le plaisir , je me permets de reprendre quelques-unes de tes lignes :
« …Montesquieu, Rousseau, ou Voltaire, ne se soient si peu inquiétés de la situation des noirs. Ce qui signifie que les penseurs de la modernité, les penseurs de Lumières, ont partie liée avec l’esclavage… »
Si l’on considère ceux-là, peut-être. Mais je viens de lire la biographie de Denis Diderot, et je t’assure que Diderot et Jean le Rond dit d’Alembert étaient fort en colère contre l’esclavage : Il faudrait citer aussi Damilaville, Raynal ou Jaucourt qui signa cet article de L’Encyclopédie en 1766 :
« Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire tant de malheureux !
Traite : C’est l’achat des nègres que font les Européens sur les côtes d’Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d’esclaves. Cet achat (…), est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine (…)
Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n’y a point de crime, quelque atroce qu’il soit, qu’on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté et de les vendre pour esclaves.
D’un autre côté, aucun homme n’a droit de les acheter ou de s’en rendre le maître ; les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce ; ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix (…) Un homme dont l’esclave prend la fuite, ne doit s’en prendre qu’à lui-même, puisqu’il avait acquis à prix d’argent une marchandise illicite et dont l’acquisition lui était interdite par toutes les lois de l’humanité (…). Il n’y a donc pas un seul de ces infortunés (…) esclaves, qui n’ait droit d’être déclaré libre, (…) ; par conséquent la vente qui en a été faite est nulle en elle-même ; (…) C’est donc une inhumanité manifeste de la part des juges des pays libres où il est transporté, de ne pas l’affranchir à l’instant (…) puisque c’est leur semblable, ayant une âme comme eux. On dira peut-être qu’elles seraient bientôt ruinées, ces colonies, si l’on y abolissait l’esclavage des nègres (…) Il est vrai que les bourses des voleurs des grands chemins seraient vides si le vol était absolument supprimé : mais les hommes ont-ils le droit de s’enrichir par des voies cruelles et criminelles ? Quel droit a un brigand de dévaliser les passants ? (…) Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire tant de malheureux ! Mais je crois qu’il est faux que la suppression de l’esclavage entraînerait leur ruine (…) C’est la liberté, c’est l’industrie* qui sont les sources réelles de l’abondance. »
Il existe aussi La célèbre dénonciation de l’esclavage insérée par Diderot dans le livre XI de l’édition de 1780 de L’Histoire des Deux-Indes et qui n’a attiré, il est vrai, l’attention que de peu de critiques modernes.
D’ailleurs, le tricentenaire de la naissance de Diderot devrait être fêté en 2013, attendons de voir si les politiques vont autant investir dans cette célébration que dans celle du tricentenaire de Rousseau qui a eu lieu en 2012…Ce sera un bon test !
Revenons à la Chronique :
« …il n’est pas du tout évident que le blanc moyen d’aujourd’hui soit tout à fait convaincu au fond de lui-même que le noir est un homme. Du moins, pas évident pour tout le monde. »
Pourrions-nous poser la question autrement : « il n’est pas du tout évident que le blanc moyen d’aujourd’hui soit tout à fait convaincu au fond de lui-même que l’HOMME est un HOMME » ????
Car bien sûr l’esclavage existe encore partout dans le monde !
Enfin, et juste pour t’embêter : « si un esclave fait un enfant à une femme », si un homme fait un enfant a une femme dis-tu…quelle drôle de formule ! Il me semblerait que c’est autant la femme qui fait l’enfant à l’homme non ? allez, top-là, fifty-fifty…ah esclavage !