Juste pour qu’on ne s’entretue pas. N°554
Écrit par D.D sur 14 novembre 2012
J’ai l’impression que ça ira bien après la prise de parole d’hier du président de la République pour la première conférence de presse depuis le début de son quinquennat. Je veux dire: il me vient à l’idée de ressortir cette réflexion de Jean-Paul Dollé. Qui disait des choses très bien.
« Juste pour qu’on ne s’entretue pas.
Ceux qui reprochaient à De Gaulle de gouverner par le Verbe sont les mêmes qui font grief à Mitterrand, cet homme de mots, de ne pas agir, d’être un pur Sphinx. Dans les deux cas, ils témoignent d’une même méconnaissance de ce qu’est le pouvoir politique dans une démocratie.
Car, la direction d’une nation n’est ni la gestion administrative ou économique, ni le magistère éthique ou idéologique, mais d’abord l’art de faire admettre quelques règles communes de vie à des individus que l’âge, la classe, les croyances et les goûts divisent. Bref, de leur parler. Tenter de rassembler ceux qu’à près tout oppose sans user de la contrainte ou faire appel à la foi, ne se recommander que de la volonté générale pour imposer que tous se plient à la loi commune semble au mieux une gageure, au pire une mystification. Cela passe par la parole, par le ministère de la Parole, le plus technique de tous.
Sempiternelles récriminations du despote et du prêtre vis-à-vis de l’orateur public : au lieu d’inciter le peuple à discuter, tu ferais mieux de lui apprendre à obéir et à croire.
A quoi s’ajoute de nos jours l’injonction de l’économiste : produisez, achetez, vendez.
Aucune solution en faveur de la paix civile n’est garantie à la Cité du fait qu’on expose dans une langue compréhensible par tous, les termes d’une différence.
Le Prince exprime le multiple des différences de tous à tous, fait droit à leur opposition et substitue la dispute à la négation et à l’anéantissement de tous par tous.
Transformer des occasions de meurtre en objet de litige, c’est instituer une sphère de relations qui ne relèvent ni des purs rapports de force, ni de l’intérêt de la production, ni de la Connaissance à proprement parler, ni même du Droit mais de la citoyenneté.
La politique, en démocratie, ce n’est pas un faire-ensemble ; elle ne vise pas à produire une bonne communauté. Faire de la politique, en démocratie, c’est simplement faire en sorte que ceux qui jouissent de la Parole et du pouvoir d’énonciation augmentent l’intensité de leur jouissance en agrandissant toujours plus le cercle des ayants droit de la Liberté. Conspiration des egos, certes, mais des Egaux, oui ! »
Jean-Paul DOLLE. Texte paru dans La Légende du siècle-N°5-mardi 19 avril 1988. (Avec en sous-titre: Il nous a fait un accident, le philosophe des choses douces. Finis la gitane et le petit blanc. Reste l’ivresse de la sagesse.)
Bon, bref, notons, cette ré-édition d’un texte qui date un peu, a la capacité encore de nous éclairer comme une lampe-tempête. Ecrit sous Mitterrand, ça se lit aussi bien sous Hollande. Après avoir fouillé tous les coins, Dollé nous montre du doigt celui maintenu dans le noir : cette sphère de relations de tout à chacun, et nous tous. Quant à ces différences, qu’il dit, elles sont tout aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque, voire plus. Puisqu’elles n’ont jamais cessé de se creuser depuis. Parlons tout seul. Jusqu’à passer du grave à l’aigu. Qui plus est, nous sortons tout juste ( 6 mois) d’une période minée où un Prince voulant faire main basse sur le réel, les a exacerbé à outrance.
D.D