Avoir vingt ans dans les Aurès. N°550
Écrit par D.D sur 10 octobre 2012
Vu à vingt ans en 74, je vais retourner voir Avoir 20 ans dans les Aurès. Ce film du cinéaste breton René Vautier. Trop peu vu. Longtemps été interdit. Ecarté des grands circuits de diffusion. Une version restaurée numériquement vient de ressortir le 3 Octobre dernier. Et paraît-il, il fait ressurgir par delà son propos anti-militariste et anti-colonial, la vision esthétique et le regard poétique de son auteur. Qui réside depuis fort longtemps à Cancale. Un peu d’histoire permet de conserver l’esprit vif, la mémoire claire. Et l’oeil aux aguets. D’ailleurs René Vautier pas de doute malgré son âge, les a gardé.
Que ce film, tourné en 1972 à partir des témoignages d’appelés en Algérie, ressorte tout pimpant cette année où se commémore le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, c’est bien vu. Mais c’est aussi comme un hommage rendu à ce grand combattant caméra et micro entre les dents. L’anticolonialisme, le cinéma militant et le cinéma en Bretagne lui doivent beaucoup. Rappelons que « Avoir 20 ans dans les Aurès » est une fresque qui met en scène la façon dont l’armée française a pu s’y prendre pour faire tirer sur des paysans autant si ce n’est plus que sur les fellaghas, de jeunes appelés français syndiqués, politisés, pacifistes. Une incontestable charge historique et politique. L’on sait combien parler de la guerre d’Algérie avec ceux qui l’ont vécu de près sur le champ de bataille, reste gênant encore aujourd’hui. Beaucoup n’en sont pas sortis.
Précisément, à base de ces témoignages poignants, le film raconte l’histoire d’un commando d’une dizaine d’hommes, des Bretons antimilitaristes (barbes et cheveux longs) placés sous les ordres d’un lieutenant (Philippe Léotard). Les bidasses, bien que réfractaires à la violence, cèdent parfois à la sauvagerie de leurs pulsions : une scène les montre passant à tabac un Algérien sans véritable motif.
Pour montrer ce film, Vautier a connu mille difficultés. Et toutes sortes d’adversaires. Car diffuser le film de cette guerre que les autorités envahissantes voulaient sans images…pas question! Donc, le film n’est diffusé ni en salles, ni à la télévision. Alors « En 1973, j’ai fait une grève de la faim de 31 jours pour qu’on reconnaisse au cinéma le droit d’expression, pour que la commission de censure soit obligée de motiver ses décisions en dehors de tous critères politiques. »
Vautier se vit censurer et interdire moult fois par l’Etat, et un commando d’extrême droite saccagea des milliers de kilomètres de pellicule lui appartenant . Son premier film, Afrique 50, selon certains sa meilleure œuvre, est un violent réquisitoire contre le colonialisme français en Afrique noire. Ce brûlot lui valu une interdiction totale, treize inculpations et l’armée, se rappelant que René Vautier n’avait pas fait son service militaire (ses faits de Résistance auraient pu pourtant l’en exempter: décoré de la Croix de guerre à 16 ans, responsable du groupe « jeunes » du clan René Madec, cité à l’Ordre de la Nation par le général Charles de Gaulle pour faits de Résistance (1944)), l’envoya en Allemagne… Où il passa quasiment un an en prison militaire. On voit pourquoi: la première séquence d’Afrique 50 montre les gestes ancestraux des femmes qui pilent le mil au milieu des bambins, puis transite brutalement sur les villages rasés, les habitants sommairement exécutés pour impôt impayé.
Tout ça vaut à Vautier le titre enviable de cinéaste le plus censuré. Il a dû se sentir un peu seul. « J’ai toujours considéré une caméra comme une arme de témoignage. Mais ce n’est pas une arme qui tue. Au contraire, ça peut être un instrument de paix. C’est pour cela que je me suis bagarré pendant cinquante ans pour qu’il y ait des dialogues d’images, et tous les films que j’ai faits, je considère que ce sont des dialogues d’images. Le réalisateur prend parti. Il s’engage d’un côté, mais il donne aussi la parole aux gens d’en face. » déclare René Vautier, dans un entretien pour le site web Alternative Libertaire, juin 2004.
De retour en Bretagne, d’autres luttes, sur d’autres fronts. René Vautier, toujours debout, « le seul cinéaste à avoir un morceau de caméra dans la tête », devient un soutien indéfectible aux grèves et aux colères bretonnes. Après l’Algérie, il accompagne par ses images la révolte des ouvriers de ce vaste chantier à ciel ouvert qu’était le Brest d’après-guerre. Le destin du film qu’il y tourne, « Un homme est mort », résume au plus près sa pratique du cinéma d’intervention sociale : au bout de 150 projections devant des piquets de grève, dans des bars ou des patronages laïques, la pellicule s’autodétruit lors de la dernière séance à Paris. « Un film sur la lutte de ceux à qui on refuse le droit de parole ne vaut que s’il est diffusé immédiatement. »
Projeté en avant-première, quarante ans après sa sortie, au Théâtre national de Bretagne lundi dernier à Rennes, ce « Avoir vingt ans dans les Aurès » complètement rajeuni, avec version restaurée (voir les premières images), a fait dire à son auteur: « Avant, il y avait des commissions de censure. Aujourd’hui, c’est dépassé. On a gagné en faisant des films illégaux qui ont fait sauter ces lois. Je suis très content, parce que j’ai l’impression d’avoir contribué à ça. Sur le plan de la liberté d’expression, au bout d’un peu plus de soixante ans, j’ai l’impression d’avoir gagné. » (Le mensuel de Rennes).
Fief de la révolution algérienne, la région des Aurès, avec Batna comme capitale, je me rappelle l’avoir traversée en 80, à vingt-six ans. En voyageur. Le silence alentour. Pourquoi le désert et les Aurès ? C’est si loin! Allez savoir.
D.D